LES NEMS DE NGUYEN

LE VIETNAM - PARTIE 2

Le centre du Vietnam : Hoï An et Hué

On m’avait pourtant prévenu. Le train entre Hanoï et Hué est peuplé d’insectes, et pas n’importe lesquels : les cafards. Ils ont même dormi avec moi… Je quitte Hanoï pour Hué en train de nuit pour un voyage de 11h. Je suis en compagnie d’un couple d’allemands, et d’un américain (que je ne vois pas vraiment débarquer puisqu’il monte quand le voyage a déjà bien commencé). Nous sommes tous et toutes blottis dans nos duvets sur nos couchettes, avec des cafards autour de nous, qui vivent leur vie tranquillement. Je ne sais pas si certains sont montés sur moi pendant que je dormais et peu importe car j’étais tellement fière de moi d’avoir pris ce train seule de nuit. Parfois, il ne faut pas grand-chose pour être heureux et moi, pendant ce voyage, ce fut ce train de nuit. J’ai d’ailleurs failli ne pas prendre le bon, bref. J’arrive à Hué, ancienne capitale impériale du pays, un peu engourdie, j’ai dormi mais de manière hachée. Mon hôtel est situé dans une petite impasse proche de la rue commerçante de la ville : le Huenino Hotel. Je suis accueillie par une famille, qui rendra mon séjour précieux. Comme souvent, je ne sais pas vraiment combien de jours je vais rester, tout dépend de comment je me sens. Je décide d’aller manger dans un endroit considéré comme un des meilleurs de la ville, qui sert des plats issus de la tradition royale. Effectivement, c’est un délice. L’endroit est caché parmi un dédale de rues, on mange sous un hangar, les ventilateurs tournent sans cesse, ma table donne sur la rue, il fait chaud, et c’est très bon. J’ai le droit à une dégustation : des nems, des banh beo (galettes de riz vapeur aux crevettes présentées dans des coupelles), banh cuon (crêpes vietnamienne), et un bouillon bouillant. Évidemment après je file faire une sieste.

Puis les rencontres commencent, d’abord une amie de la famille, Khanh, elle travaille à l’hôtel de temps en temps pour payer ses études, elle vient souvent me parler car elle veut pratiquer son anglais. On finit par boire une bière un soir dans la petite véranda de la maison qui jouxte l’hôtel. Elle m’invite car elle aime bien nos discussions. On passera la semaine ensemble. Elle m’emmènera en scooter rencontrer ses grands-parents dans la campagne à une heure de route de Hué en traversant les rizières et les cultures de fruits du dragon (pitaya), elle me fera découvrir un restaurant dans lequel je n’aurais jamais mangé, elle m’explique que ce n’est pas un restaurant pour les blancs. Il est situé dans un quartier d’affaires, où les employés de bureaux viennent faire leur pause déjeuner, il est dans une maison typique vietnamienne, sur trois étages, on mange du poisson de rivière grillé avec des légumes, je me régale. En quittant Hué, nous avons les larmes aux yeux, on se serre dans les bras, nous avions prévu de nous revoir à Da Lat, mais cela n’a pas été possible. J’ai également eu l’opportunité d’apprendre à cuisiner avec la maman du propriétaire dans sa petite cuisine. Sa fille, My-Lê, était là pour faire la traduction. Elle a aussi pris le temps de me questionner sur ma vie de femme en France : est-ce que tu veux des enfants ? Comment tu t’organises avec le travail ? Est-ce que tu te lèves tôt ? Est-ce que ton mari, il t’aide beaucoup ? Pourquoi tu es partie sans lui ?

Nous avons échangé tout en cuisinant, comme cela arrive souvent dans ces pièces de vie où il se passe plein de choses. J’ai compris que ce sont majoritairement les femmes qui gèrent les tâches quotidiennes et notamment la cuisine, mais elle me dira aussi que les hommes de sa génération comme son mari ils sont plus présents à la maison, car les femmes travaillent de plus en plus grâce au tourisme. A la fin de cet atelier improvisé, j’ai le droit de manger toutes les préparations. La soupe de tofu frit est mon souvenir le plus marquant. J’en ai l’eau à la bouche rien que d’y penser. Je n’ai pas réussi à tout finir, le repas a donc duré plusieurs jours. La fin de la semaine arrive vite et je décide de quitter Hué en moto, il parait que la route est exceptionnelle entre Hué et Hoï An. Il existe une organisation qui propose d’accompagner ceux qui souhaitent tenter cette expérience. Je me retrouve avec trois canadiennes et une irlandaise pendant une journée sur les routes de montagne. Certains conduisent leur propre moto et d’autres (comme moi) sont derrière un chauffeur/guide. La route est belle et je me surprends à aimer la moto. On arrive à Hoï An en début de soirée. Je vais rester une semaine dans un homestay à 20 minutes de vélo du centre-bourg. Les propriétaires du homestay me prêtent un vélo pour mes trajets quotidiens.

Hoï An est rempli de touristes sauf le matin très tôt. Très vite, je demande où apprendre à cuisiner, et comme souvent on me répond « ici ». Nguyen me propose d’aller au marché avant, un petit, pas très loin en vélo, et ensuite on cuisine à l’extérieur. Nguyen est originaire du Nord du Vietnam, mais pour des raisons économiques, elle est vite descendue dans le sud avec son mari. Ils sont restés à Hoï An car elle a trouvé du travail rapidement. Elle ne parlait pas anglais, elle a appris au fur et à mesure. Elle a 26 ans et un petit garçon de 18 mois. Elle m’a dit « je ne connais pas bien la cuisine du sud, je vais te faire ce que mange tous les jours », c’est-à-dire un porc clay pot et des pancakes vietnamiens frits. Nous avons aussi fait des nems avec une subtilité intéressante : la feuille de riz était trouée. Le nem était roulé deux fois, dans une première feuille de riz légère, puis dans une deuxième feuille de riz trouée. Les deux avaient été achetées au marché et faites à la main le matin même. Le nem croustille sous la dent comme rarement. Je n’ai jamais réussi à retrouver les mêmes feuilles de riz en France. Nguyen m’a expliqué que, selon elle, la nourriture entre le Nord et le Sud est vraiment différente, notamment au niveau des épices. Elles sont plus nombreuses au sud. Même chose au niveau du sucre, plus on descend dans le pays, plus les plats sont sucrés. Nguyen comme My-Lê à Hué me diront « Euh les doses, ce n’est pas vraiment ça, on fait à l’œil et au goût, on n’est pas vraiment chefs en même temps ».

Je reste une semaine à Hoï An, j’aime être longtemps dans un endroit pour m’imprégner de la ville et de ses habitants. Parfois, je ne fais pas grand-chose, je bois des cafés et je marche. J’ai aussi fait une journée en vélo dans la campagne de Hoï An avec une organisation touristique éco-responsable et uniquement gérée par des femmes. Linh nous emmène découvrir les artisans locaux, les producteurs de vinaigre de riz, et on mange chez des habitants. Pendant le trajet, Linh me questionne sur mon voyage seule sans mon mari, elle parle français et me dit qu’ici une femme non mariée à 30 ans, tout le monde pense qu’il y a un problème. La pression est forte, mais que les mœurs changent, ses parents par exemple l’encouragent à continuer ses études et à être indépendante. Puis, elle s’exclame « ici quand tu te maries, tu dois déménager dans la famille de ton mari, tu te rends compte, c’est terrible, et surtout que certaines familles gardent des veilles traditions où tout le monde dort dans la même pièce, je ne sais pas comment ils font pour avoir autant d’enfants »… La journée passe vite. J’apprends beaucoup de toutes ces discussions.

Dernier jour à Hoï An, et je pars pour une balade culinaire avec Phuoc. Il organise des street food tour avec son entreprise Eat Hoian. Il nous a préparé un petit sac avec nos « armes » comme il les appelle : tout le nécessaire pour manger (baguettes, cuillères et autres ustensiles). Il y a 23 spécialités à Hoï An, nous allons en goûter une dizaine et une bière locale brassée ici. Très bonne, fraiche aux fruits de la passion. Phuoc est originaire de Hoï An depuis plusieurs générations, il a également été cuisinier dans un restaurant, il connait la ville par cœur. Et grande joie, on quitte la partie touristique pour s’enfoncer dans le vrai Hoï An comme il le soulignera à plusieurs reprises. Quand la ville a été classée par l’Unesco, les habitants ont dû quitter le vieux centre pour se loger en face car ils ne pouvaient plus agrandir, ni modifier les maisons. D’ailleurs, ils nomment ce vieux centre China Town en référence à l’époque chinoise de Hoï An. Les chinois ont habité ici, mais également les français et les japonais, les influences se ressentent clairement dans la cuisine. Le premier plat que l’on m’a servi à mon arrivée est inspiré des ramens japonais et j’ai découvert l’emblématique Banh Mi Phuong consacré par Anthony Bourdain lors de son passage. Je ne vais pas vous faire la liste de l’ensemble des plats, j’essaierai de développer cette partie sur mon compte instagram, en tout cas, à Hoï An, on se rend bien compte que la cuisine est intimement liée à la culture, et si la nourriture de cette ville est considérée comme une des meilleures du pays, c’est aussi parce que des populations d’origines diverses se sont croisées

Je quitte Hoï An le ventre bien rempli et je me dirige vers Da Lat.

Je vous ai fait saliver avec mes nems, voici la recette de Nguyen.

RECETTE

Ingrédients :

300g de porc haché

250g de crevettes cuites ou crues

1 œuf

1 taro pelé et lavé

1 carotte pelée et lavée

1 botte d’oignons verts

50g de vermicelles de haricots mungo

10g de champignons noirs séchés à réhydrater

1 paquet de feuille de riz

Poivre et sel

Une pincée de sucre

Un bol d’eau tiède

Commencez par faire tremper les champignons noirs et les vermicelles de haricots dans de l’eau tiède pendant 30 minutes environ.

Hachez les crevettes décortiquées (j’utilise un robot), les oignons verts, et coupez en julienne le taro et la carotte. Réservez dans un saladier.

Découpez les champignons noirs en petits morceaux et supprimez la partie basse (le pied). Ajoutez-les au mélange précédent ainsi que la chair à saucisse. Mélangez bien avec un œuf, du poivre, une pincée de sel et de sucre.

Égouttez les vermicelles de haricots, les couper en tronçons de 10 cm environ à l’aide de ciseaux. Réservez.

Préparez un bol ou une assiette creuse d’eau tiède pour tremper au fur et à mesure les galettes de riz. Plongez 30 sec une galette de riz dans l’eau et la déposer sur un plan de travail ou un torchon propre. Ajoutez une cuillère à soupe de garniture et une cuillère à soupe de vermicelles de haricots près du bord vers soi.

Pliez la partie vers soi sur la garniture, puis les bords latéraux sur la farce et roulez en maintenant la farce à l’intérieur. Ne serrez pas trop car la feuille peut se percer. Si la feuille manque de souplesse, n’hésitez pas à humecter avec un peu d’eau.